Dans le cadre d’une conférence de presse virtuelle, la TROCL, accompagnée de différents acteurs et actrices du mouvement d’action communautaire autonome lanaudois, ont tenu à exprimer leurs craintes et surtout leur indignation face au déploiement de nouveaux programmes gouvernementaux dédoublant la mission de nombreux organismes communautaires autonomes (OCA).
Comme l’indique Pierre Lafontaine, président de la TROCL, au-delà du dédoublement, les projets tels que ceux du réseau Aire Ouverte et des Éclaireurs sont un déni du savoir populaire, des approches développées par des organismes nés et enracinés dans leur milieu et de l’expertise terrain des travailleuses et des travailleurs des 4000 organismes communautaires autonomes québécois, dont 200 dans Lanaudière.
En effet, depuis quelques années, nous ne pouvons que constater la volonté de l’appareil gouvernemental de prôner l’approche communautaire. Celle-ci est citée dans de multiples plans d’actions, projets en développement, études et recherches. Comme l’explique Maya Fernet, coordonnatrice aux enjeux sociaux à la TROCL, bien que cela puisse, à première vue, démontrer une meilleure reconnaissance des approches mises de l’avant par les organismes, l’actualisation de plusieurs projets démontre qu’il s’agit plutôt de l’utilisation et de l’instrumentalisation des approches communautaires. Rappelons que ces dernières sont liées à une visée de transformation sociale et de pratiques citoyennes. Pour les organismes communautaires autonomes, elles sont liées à un rapport libre et volontaire, au sentiment d’appartenance, à la mobilisation d’une communauté. Importer ce modèle pour l’appliquer sans tenir compte de l’ensemble de ces facteurs, dénature le travail réalisé depuis des décennies par le mouvement d’ACA. Les organismes sont actuellement très préoccupés par l’implantation de projets qui impliquent des investissements majeurs d’argents publics pour reproduire la mission d’organismes déjà existant et démontrant, depuis des années, les impacts de leurs activités. Des organismes qui ne demandent qu’à être financés à leur juste valeur pour répondre pleinement aux besoins de leur communauté.
Entendons-nous bien, les organismes communautaires autonomes sont parfaitement conscients des besoins et des manques actuels pour répondre à l’ensemble des besoins de la population. Ils sont prêts à s’impliquer et à collaborer avec différentes instances pour trouver des pistes d’actions. Toutefois, les processus actuels vécus avec l’appareil gouvernemental, dont le CISSS de Lanaudière, ne permettent pas de travailler dans une optique de co-construction, tel que prôné par celui-ci. Comme le mentionne Chloé Champagne-Gagné, au nom des Maisons des jeunes de Lanaudière, la structure organisationnelle actuelle de l’implantation du projet Aire Ouverte ne nous permet pas de faire un processus co-constructif efficace et efficient. Les délais d’implantation du projet force à une urgence et une implication hebdomadaire importante. Les échéances gouvernementales ne favorisent pas la co-construction réelle et les comités en place ont des mandats et objectifs exempts de transparence. Dans ce cas particulier, les Maisons des jeunes, avec leur expertise, veulent que leurs recommandations soient entendues et qu’une flexibilité permettent de sortir d’un cadre gouvernemental rigide et statique. Rappelons que le réseau « Aire ouverte[i] » vise l’implantation, d’ici 2024, de plus de 80 Aire ouverte au Québec. Dans Lanaudière, la première Aire ouverte ouvrira à l’hiver 2022.
À l’automne dernier, une autre annonce gouvernementale a fait sursauter le mouvement d’ACA. En effet, dans la foulée des impacts psychosociaux liés à pandémie, le ministre Lionel Carmant annonçait la mise en place des « Éclaireurs ». Il s’agit ici d’un réseau d’éclaireurs sur le terrain qui ira à la rencontre des clientèles vulnérables et mettra de l’avant des actions de promotion, de prévention, de détection et d’intervention précoce des problématiques psychosociales. Une fois de plus, le milieu communautaire salue cette volonté de répondre à des besoins ressentis par la population. Toutefois, comme le spécifie Marie-Ève Ducharme, présidente du Regroupement des organismes communautaires québécois pour le travail de rue (ROCQTR), le Québec peut compter depuis plus de 40 ans sur un réseau établi « d’éclaireurs »! On les appelle travailleurs et travailleuses de rue. Ils sont plus de 250, solidement ancrés sur l’ensemble du territoire québécois. Ils sont bien au fait des difficultés liées à la santé mentale, et ce, bien avant le début de cette pandémie. De plus, ce projet ne tient pas compte de la complexité des besoins et des initiatives soutenues par les communautés qui sont déjà en place. Bref, nous questionnons la valeur ajoutée de ce projet, car dans les faits, les Éclaireurs vont référer les personnes vers le réseau de la santé et des services sociaux qui peine déjà à répondre dans des délais raisonnables, aux demandes. Donc, au final, les Éclaireurs vont référer à des listes d’attente !
Dans la foulée de ces projets bien précis et des enjeux vécus, le mouvement d’ACA demeure vigilant face à d’autres initiatives gouvernementales qui pourraient être dévoilées. Comme le souligne Isabelle Leblanc, coordonnatrice des Atelier éducatifs Les petits Mousses, la sortie du rapport de la Commission Laurent sur les droits des enfants et de la protection de la jeunesse, soulève des questionnements sur l’implication des organismes communautaires autonomes œuvrant auprès des enfants, des jeunes et de leurs familles. Je réitère l’importance de reconnaître l’expertise de ces travailleur.ses et du rôle primordial qu’ils jouent au quotidien auprès des enfants et des familles. Nous souhaitons une réelle co-construction pour l’avenir des enfants et des familles.
Comme vous le savez, les organismes communautaires autonomes, déjà reconnus tant par le gouvernement, les élu.es, la communauté, les partenaires et la population, sont toujours sous-financés. Alors qu’ils ont démontré leur expertise, leur savoir-faire, leur capacité à identifier les besoins de leurs communautés, leur volonté de collaborer dans l’identification de solutions, nous voyons des millions de dollars être investis dans des projets parallèles, se voulant une pâle copie de l’approche développée par les 4000 OCA du Québec. Pourquoi ne pas soutenir ces organismes à la hauteur de leurs besoins afin qu’ils puissent pleinement jouer leur rôle? Pourquoi créer de la compétition entre un mouvement qui a fait ses preuves et le réseau public? Pourquoi demander au milieu communautaire de former les intervenant.es de ces nouvelles structures tout en creusant les iniquités entre des travailleur.euses aux compétences identiques? Pour les organismes, cette situation déplorable se doit d’être adressée publiquement et ils demandent des réponses concrètes de la part du gouvernement québécois.
[i] Aire ouverte est, selon le gouvernement du Québec, un réseau de services intégrés pour les jeunes au Québec. Il offre des ressources, des services et du soutien aux jeunes de 12 à 25 ans.