Laboratoires : des leçons à tirer de la pandémie

Photo courtoisie

La crise sanitaire a imposé une modification importante de l’organisation du travail dans les laboratoires, qui a remis en question les fondements mêmes de la démarche OPTILAB. Avant de revenir à la normale et de repartir officiellement la machine, peut-on au moins prendre le temps d’y réfléchir?

Disons-le d’emblée : il est aberrant que le gouvernement, malgré les remerciements du premier ministre et les représentations de l’APTS, ne reconnaisse pas le rôle crucial des laboratoires dans le combat contre la COVID-19 en accordant à nos membres des compensations financières amplement méritées.

Les failles d’OPTILAB mises en lumière

L’élément majeur dégagé par la pandémie est la nécessité de réduire le temps de réponse. Pour y arriver il a fallu décentraliser les analyses de dépistage de la COVID-19 et les rapprocher de la population et des équipes de soins. D’abord traitées dans un laboratoire de la Saskatchewan, puis dans les laboratoires de la santé publique, les analyses nécessitaient en raison de leur volume la multiplication des points de service. Ainsi, les laboratoires serveurs ont vite été appelés en renfort. Comme cela ne suffisait pas, certains laboratoires associés ont été mis à contribution et d’autres le seront prochainement afin de suivre le déconfinement graduel de la population.

Pour répondre aux besoins, il fallait de l’équipement et une réorganisation de l’ensemble des analyses à traiter en microbiologie, puisque c’est là que les prélèvements COVID-19 sont en grande partie analysés. Malheureusement, cette réorganisation allait à l’encontre des avancées d’OPTILAB, qui avait centralisé les appareils les plus performants et une grande partie des analyses dans les laboratoires serveurs.

Le ralentissement de l’ensemble des activités du réseau de la santé et des services sociaux et le délestage ont permis de réaliser cet exercice. Ce qui aurait été complètement impossible à faire si les laboratoires des régions les plus touchées par la pandémie avaient fonctionné à plein régime. Malgré tout, plusieurs grappes ont eu des difficultés importantes. Voici quelques exemples en lien avec des éléments à propos desquels l’APTS a exprimé des préoccupations, qui sont devenus des problèmes inhérents au déploiement de la démarche OPTILAB.

Grappe Bas-St-Laurent / Gaspésie, bulle Gaspésie: problème de transport et absence de plan B. À cause de la COVID-19 le transfert des prélèvements par autobus (Expédibus) et par avion (à partir de l’aéroport de Bonaventure) a cessé, ce qui a forcé la direction de la grappe à mettre en place à la dernière minute un système de transport privé. Ce dernier fait plusieurs arrêts et peut mettre jusqu’à cinq jours pour arriver à Rimouski. Résultat : plusieurs prélèvements arrivent décongelés et doivent être repris.

Grappe Montréal – CUSM / Abitibi-Témiscamingue: problème de communication et difficulté de gestion à distance. L’implantation de l’analyse des tests de dépistage de la COVID-19 a été chaotique en raison des procédures émises par le CUSM, qui changeaient tout le temps. Il est vite apparu que les réalités bien différentes de ces deux régions éloignées l’une de l’autre rendaient la gestion très difficile.

Grappe Laval-Laurentides-Lanaudière: recours au privé comme plan B. Les régions de Laval et de Lanaudière ayant connu toutes deux des zones d’éclosion importantes, le laboratoire serveur de Laval s’est vite retrouvé débordé. Le plan B de la direction de la grappe a été d’envoyer certains prélèvements à l’Hôpital Sainte-Justine et à une compagnie privée du nom de Caprion.

Grappe Chaudière-Appalaches : mauvaise utilisation des ressources des laboratoires. Le laboratoire serveur de Lévis a pris la décision de transférer les analyses de gonorrhée et de chlamydia à la grappe de Rivière-du-Loup afin de libérer l’appareil pour les analyses de COVID-19. Une décision contestable puisque d’autres laboratoires de la grappe auraient été en mesure de les prendre et que le laboratoire de Rivière-du-Loup, qui fait partie de la grappe Bas-St-Laurent / Gaspésie, fait face à une surcharge de travail insoutenable.

Situation actuelle

En ce quatrième mois de la pandémie, la situation devient encore plus inquiétante dans les laboratoires. Alors que le Québec amorce un déconfinement et que le réseau de la santé et des services sociaux entame un retour à la normale avec la reprise des activités délestées, notamment dans les blocs opératoires, la période estivale arrive à grand pas.

Or la période des vacances est synonyme de surcharge de travail pour les membres de l’APTS en laboratoire en raison de la pénurie de main-d’œuvre. Le déploiement de la démarche OPTILAB est venu accroître cette surcharge, la rendant intenable. Cette année, la combinaison du retour à la normale avec l’ajout des analyses de tests de dépistage de la COVID-19 et des retards accumulés en raison des délestages constitue un cocktail extrêmement préoccupant pour la santé des membres déjà épuisé·e·s. Bien que plusieurs laboratoires soient parvenus à embaucher des externes et du personnel, les besoins sont tellement grands que plusieurs équipes n’arriveront tout simplement pas à répondre à la demande.

Tous ces éléments ne suffisent-ils pas à l’équipe responsable de la démarche OPTILAB pour reconnaître l’ampleur de ses lacunes et revoir son plan? Il semble malheureusement que non. Les témoignages recueillis indiquent plutôt que le déploiement d’OPTILAB reprend de plus belle là où il avait été suspendu. Pire encore, alors que nous pensions que nos dirigeants feraient les constats qui s’imposent et suspendraient les projets de construction des nouveaux laboratoires serveurs, voilà que la construction de celui de la grappe de la Montérégie fait partie de la liste des projets de construction que le gouvernement voudrait accélérer.

Faudra-t-il attendre que les membres de L’APTS s’épuisent définitivement et que les conditions de travail se dégradent au point de ne plus attirer aucune recrue dans les laboratoires pour que l’on constate l’ampleur des dégâts attribuables à cette réorganisation? Que l’on se retrouve en pleine deuxième vague de la pandémie sans le personnel suffisant pour faire toutes les analyses requises?

En concrétisant OPTILAB, le ministre Barrette poursuivait un plan de démantèlement dont les impacts ont été révélés au grand jour quand la pandémie s’est invitée dans les CHSLD. Est-ce que les élu·e·s de la CAQ entendent continuer son œuvre aveuglément ou plutôt prendre leurs responsabilités pour faire face à la réalité? L’APTS ne souhaite pas seulement critiquer en disant « on vous l’avait dit » mais bien faire partie de la solution. Elle invite la ministre McCann à accepter la main tendue par le personnel des laboratoires et à travailler conjointement à la recherche de solutions durables dans l’intérêt de nos membres et celui de la population.