D’hier à aujourd’hui (deuxième partie)

Photo courtoisie: GETTY IMAGES / PAUL MCKINNON

Dans le cadre d’un cours du Cégep de Joliette, j’ai été amenée à traiter d’un sujet de mon choix portant sur une des grandes tragédies de l’histoire. À la suite des récents événements survenus à Joliette, il m’était impossible de passer sous silence une situation aussi importante que la cause autochtone. Mon nom est Juliette Breault, j’en suis à ma deuxième année du programme de sciences de la nature et comme citoyenne et jeune étudiante, sensible à autrui et à la tolérance, dans ce monde, trop individualiste,  je me donne pour mission d’intervenir et sensibiliser le plus d’individus à cette réalité.

Aujourd’hui.

Azraya Ackabee-Kpkopeace, Deborah Ann Sloss, Trudy Gopher, Joséphine Chakasim, Nicole Daniels, … « Qui sont et qu’ont en commun toutes ces femmes? », vous me direz. Il s’agit de quelques-unes de celles que l’on retrouve sur la très (trop) longue liste de femmes autochtones dont la mort demeure suspecte au Canada. Ne vous méprenez pas, on ne parle pas ici d’une dizaine d’entre elles, mais bien de plus de 1200 depuis une trentaine d’années, ici, sur notre belle terre canadienne. « Notre » belle terre. Cet anodin passage met en lumière l’absurde idée que se fait la typique et privilégiée personne blanche originairement québécoise de l’histoire de sa province, de son pays et de sa culture. Pourquoi ne pas effectuer un bref retour sur l’histoire des peuples des Premières Nations, qui étaient « sur leurs terres » bien avant que l’Homme blanc n’arrive pour coloniser ces terres et tant qu’à y être, pourquoi ne pas laisser tomber les idées préconçues et les stéréotypes qui accompagnent chaque québécois lors de son apprentissage de l’histoire de la Belle Province. Ceci est le deuxième de 2 billets qui permettront de faire la lumière sur une mince partie du projet de colonisation européen et des cicatrices qu’il a laissé sur la vie des membres des Premières Nations, principalement sur celle des femmes autochtones.

Malheureusement, la domination coloniale européenne blanche sur les populations autochtones n’est pas qu’histoire du passé. Les réserves, qui marquent le sol québécois depuis 1637 (Côte-Nord, Abitibi-Témiscamingue, Nord du Québec, et plusieurs autres), en sont le parfait exemple. Bien qu’elles aient été implantées dans l’espoir de voir les Autochtones se convertir au mode de vie français, l’évolution historique des sociétés n’aura pas aboli les mythes et jugements dirigés envers ces endroits.  Avant de s’attarder à la réalité qui prend place sur ces territoires, il est nécessaire de comprendre que la Loi sur les Indiens sévit toujours aujourd’hui. Dès le moment où ces centaines de milliers d’Autochtones, qui représentent aujourd’hui 4,3% de la population canadienne, se sont vu imposer cette fameuse loi, ils ont été placés sous la tutelle du gouvernement canadien… Qu’est-ce que cela signifie? Eh bien, un régime de tutelle octroie au « tuteur », comprendre ici « gouvernement du Canada », le rôle de gérer tous les actes de la vie de la personne (ou presque) et de la représenter en continu.

Phénomène bien mal connu, mais tristement vrai, la mise sous tutelle des Autochtones fait de ces derniers des individus qui dépendent, bien malgré eux, du gouvernement, privés de toute forme d’autonomie, fortement brimés dans certains droits et libertés, et possédant peu de recours quant à l’accès à la propriété et la libre disposition de certains biens personnels. À la lumière de ces observations, je vous propose d’effectuer une brève remise en question des idées non-fondées ou pré-faites que vous pouviez (ou non) avoir des peuples autochtones. « Les Autochtones ne paient jamais de taxes. » Non. « Les Autochtones sont génétiquement prédisposés à l’alcoolisme. » Non. « Les Autochtones ont plus de droits que la majorité des citoyens. » Non. « Les Autochtones ne veulent pas parler français. » Non. « Les Autochtones se ramassent ensemble dans des ghettos à Joliette et ne se mêlent à personne ; ils ne veulent pas s’intégrer. » Non. « Les Autochtones ne sont pas instruits et vont toujours à la chasse. » Non. « Les Autochtones reçoivent des véhicules gratuitement et les détruisent parce qu’ils ne les ont pas payés. » Non. « Les femmes autochtones ne sont bonnes qu’à faire des enfants à partir de l’âge de 15 ans. » Non, non et non! Les membres des Premières Nations au Canada sont constamment mis devant le fait accompli, c’est le cas depuis des centaines d’années.

Ces gens sont victimes de stigmatisation, discrimination et de racisme systémique, parce que oui, il s’agit d’une situation bien réelle chez nous, qui devrait préoccuper bien plus d’individus qui occupent des fonctions importantes dans la gestion de notre province, qu’en ce moment. À vrai dire, 9 québécois sur 10 souhaiteraient la prise en charge de la situation par les instances gouvernementales (Radio-Canada, 12 août 2020). Ces mêmes Québécois se disent également conscients de l’existence du racisme et de la discrimination des Premières Nations. Albert Einstein a un jour dit : « On ne peut pas résoudre un problème avec le même mode de pensée que celui qui a généré le problème. » Cette affirmation peut facilement être associée à la problématique que soulève de nombreux organismes et chercheurs qui s’attardent au phénomène actuel : le colonialisme a créé le problème et la mentalité coloniale tente de le résoudre. Cette affirmation est directement en relation avec les causes énumérées plus haut. On ne peut pas dire que le racisme systémique est disparu au Canada, ce serait mentir aux membres de nos Premières Nations, et mentir à nous-mêmes, hommes blancs et femmes blanches libres.

Au-delà du souhait d’une plus grande prise en charge gouvernementale, une progression individuelle est nécessaire. Tout part de l’individu, de ses valeurs, des idées véhiculées dans sa famille, dans son école, etc. N’est-il pas ironique d’être ému lorsqu’un événement tragique a lieu, tel que le décès de Joyce Echaquan, mais d’à peine s’en souvenir quelques semaines plus tard? Il faut réagir, sortir de nos vieilles pantoufles, comprendre qu’il faut manifester pour les droits de l’humain et que le Canada est formé de 3 peuples fondateurs, dont le premier a trop longtemps été écrasé. Prenons l’exemple des manifestations qui ont lieu aux États-Unis, en rapport à la brutalité policière faite aux individus de race noire, pour nous réveiller et réaliser que la situation se déroulant ici est bien trop similaire. Nous nous disons évolués, il est temps de le prouver.

Nous voilà enfin en mesure de brosser un portrait réaliste de la situation : la colonisation européenne, qui mène à la discrimination, est directement liée à la violence faite aux femmes autochtones, de même que l’irrésolution des récentes disparitions/meurtres de celles-ci au Canada. On ne le répètera jamais assez, mais les femmes, qu’elles soient blanches, noires, jaunes, ou rouges sont constamment victimes de diverses formes d’injustice et de violence. Dans cette optique, rajoutons à ce triste constat l’étiquette autochtone. La femme autochtone est donc doublement discriminée, tant par son genre que par son identité ethnique. Contre toute attente, il s’avère que le nombre réel de femmes autochtones victimes de violence est encore plus élevé que celui que rapportent les enquêtes gouvernementales. Elle est 11 fois plus à risque d’être interpellée par le SPVM (Radio-Canada, 8 octobre 2019). Elle est 3,5 fois plus à risque de faire l’expérience de violence à partir de l’âge de 15 ans qu’une femme blanche ne l’est. Elle est 3 fois plus à risque d’être victime de violence conjugale. Elle a 1 chance sur 2 de souffrir de formes graves de violence au sein même de son milieu familial (être battue, étranglée, avoir un fusil ou un couteau pointé sur elle). Elle court le risque de faire partie du 27% des femmes autochtones qui ont signalé avoir subi 10 agressions ou plus du même contrevenant. Une recherche de l’AFAC (Association des femmes autochtones du Canada) a même su démontrer, qu’il y a une plus grande probabilité pour l’homicide d’une femme autochtone de ne pas être résolu. À vrai dire, on parle ici de 53% d’homicides de ces femmes résolus contre 84% de TOUS les meurtres au pays. (AFAC, juin 2015)

Les chiffres parlent d’eux-mêmes. Non seulement les femmes autochtones font l’objet de bien trop nombreuses agressions de tous types, mais l’intérêt qu’on leur accorde sera faible et leur véracité sera remise en question, l’identité ethnique de ces femmes étant malheureusement la cause de cette réaction. Les responsables de cette affreuse réalité sont plus nombreux que l’on pense. Azraya Ackabee-Kpkopeace est morte dans un boisé en 2016, alors qu’elle n’avait que 14 ans. Alors que le rapport du coroner n’avait pas été publié, on aurait affirmé aux parents qu’il s’agirait d’un suicide, bien que des altercations qui auraient eu lieu quelques jours auparavant, entre elle et des policiers soulèvent plusieurs questionnements. Deborah Ann Sloss est décédée d’un traumatisme crânien, à l’âge de 42 ans, à Toronto. La très brève enquête policière s’est avérée être remplie de contradictions, dont certaines marques que la jeune femme aurait eu sur le corps. Trudy Gopher a été retrouvée en Alberta, pendue avec son manteau à la branche d’un arbre. La Gendarmerie royale du Canada a classé l’affaire en concluant qu’il s’agissait d’un suicide, bien que de nombreux éléments pointent dans des directions contraires. Joséphine Chakasim a été retrouvée à l’âge de 17 ans, sans vie, dans l’eau, en 1977. Après avoir conclu qu’elle était morte de froid, la Police provinciale de l’Ontario a fermé le dossier.  Nicole Daniels a perdu la vie à l’âge de 16 ans et son corps était recouvert de coupures et d’ecchymoses. Alors que la police de Winnipeg a pendant un moment considéré sa mort comme suspecte, elle a fermé le dossier en affirmant qu’il ne s’agissait pas d’un crime. (Radio-Canada, 2016) Ces femmes ne sont pas que des statistiques, la problématique est bel et bien réelle. Continuons de pointer du doigt nos ancêtres qui maintenaient le rêve de colonisation, à condition de s’engager dans cette lutte au racisme systémique et à l’amélioration du sort des femmes des Premières Nations.

Juliette Breault